Quatre ans après les révélations de Disclose sur le scandale de la pédocriminalité dans le sport, la loi impose enfin le contrôle des antécédents judiciaires des encadrants. Un progrès entaché par le refus de la ministre Amélie Oudéa-Castera de créer une autorité indépendante permettant de lutter contre un autre fléau : l’omerta.
À quelques mois des Jeux olympiques 2024, Sarah Abitbol célèbre sa première victoire hors des podiums. L’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale, le 29 février dernier, de la loi pour « renforcer la protection des mineurs et l’honorabilité dans le sport » que la multiple championne de patinage artistique porte depuis plus d’un an avec le sénateur Sébastien Pla (Parti socialiste). Début 2020, l’athlète avait révélé les viols commis par son entraîneur lorsqu’elle avait 15 ans. « Nos actions ne sont pas vaines » se réjouit celle qui a fondé l’association La Voix de Sarah pour aider les autres victimes dans le milieu sportif.
Quatre ans plus tôt, son témoignage-choc et le scandale provoqué par l’enquête de Disclose, publiée fin 2019, poussent le ministère des sports à changer de cap : les violences sexuelles deviennent « une priorité ministérielle ». Une cellule spéciale est créée quelques jours après les révélations de Disclose sur les 77 affaires de violences sexuelles, qui ont fait au moins 276 victimes dans 28 disciplines sportives, dont la plupart avaient moins de 15 ans au moment des faits. « Il y a eu un avant et un après 2020 », estime la commission d’enquête parlementaire sur les défaillances dans le sport, dans un rapport accablant publié le 23 janvier dernier. Au point de s’interroger : « Comment expliquer qu’il ait fallu attendre la “déflagration” qu’ont constituée les révélations du média Disclose et le “choc Sarah Abitbol” pour que l’État et le mouvement sportif commencent à ouvrir les yeux sur un phénomène de grande ampleur ? » La députée Béatrice Bellamy (Horizons), présidente de la commission d’enquête, confie à Disclose : « Je ne m’attendais pas à autant de dysfonctionnements ».
Pour évaluer si la prise de conscience tardive des autorités a débouché sur de réels changements, Disclose revient sur le bilan de ces quatre années écoulées. Première satisfaction : la loi dite « Abitbol », promulguée le 8 mars dernier, reprend plusieurs recommandations formulées par Disclose, en 2019. Mais il reste encore du chemin pour véritablement sortir du « si long déni » dénoncé par les parlementaires.
La grande avancée de la loi du 8 mars 2024 est de contraindre l’administration à contrôler – beaucoup plus rigoureusement – les antécédents judiciaires des arbitres et des encadrants professionnels, comme des bénévoles en charge des activités sportives pour enfants. En rendant cette vérification obligatoire, et à renouveler tous les ans, les députés espèrent ainsi mettre fin au fléau de la récidive qui, d’après notre enquête, concerne un agresseur sur deux. Le contrôle systématique des encadrants sportifs sera aussi plus exhaustif. En plus du bulletin n° 2 du casier judiciaire, les autorités administratives devront interroger le Fichier des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijais). Et le seul fait de figurer sur ce fichier entraîne l’interdiction d’exercer. Avant le vote de la loi, le contrôle de l’honorabilité des entraîneurs se limitait à la vérification du casier judiciaire B2, dont certaines condamnations peuvent être effacées six mois après la date du jugement — à la demande de la personne condamnée, selon le site gouvernemental service public.
800 000 encadrants sportifs échappent aux contrôles
Jusqu’à aujourd’hui, pour prévenir les risques d’abus, les clubs et associations sportives étaient autorisés à recueillir les données personnelles de leurs licenciés et à les renseigner sur la plateforme informatique Si-honorabilité. Charge ensuite aux services du ministère de procéder au contrôle des casiers judiciaires et d’en informer les clubs. Accessible en théorie à toutes les fédérations depuis fin 2021, « la mise en œuvre [de la plateforme] était encore très partielle » à la fin de l’année 2023, notent les députés qui estiment à 800 000 « le nombre d’encadrants dont l’honorabilité n’a pas été vérifiée quatre ans après l’annonce de la généralisation du contrôle ». Sollicité sur ce point, le ministère des sports reconnaît que « les fédérations ont avancé de manière hétérogène sur la question du contrôle d’honorabilité », pour justifier ce retard à l’allumage.
L’un des plus mauvais élèves en matière de contrôle : la fédération française de tennis (FFT), alors dirigée par Amélie Oudéa-Castéra (mars 2021 à mai 2022), l’actuelle ministre des sports. En l’espace de quinze mois, seulement 305 contrôles d’honorabilité ont été réalisés alors que la FFT compte 100 000 membres bénévoles. Soit 0,3 % des personnes contrôlées, contre 67 000 pour la fédération de rugby et 23 000 pour celle de handball. Comment expliquer ce mauvais score ? La ministre « n’est pas en capacité de répondre à cette question » évacue son service de presse. Motif : Amélie Oudéa-Castera s’est vue retirer la tutelle de la FFT, en janvier dernier, afin d’éviter tout risque de conflits d’intérêts avec son ancien employeur.
Autre avancée emblématique : la création d’une sanction administrative spécifique pour les dirigeants qui n’auraient pas signalé à l’administration « des comportements à risque » ou qui emploient des éducateurs sportifs interdits d’exercer . Ces responsables pourraient être suspendus voire interdits d’exercer de manière définitive. Quant au non-respect de cette interdiction, il est désormais puni d’un an de prison et 15 000 euros d’amende. Au cours de leurs six mois d’enquête, les député·es ont découvert qu’au moins cinq responsables de fédérations sportives n’ont pas dénoncé des faits de violences sexistes et sexuelles « dont ils auraient eu possiblement connaissance ». À la suite de ces signalements, le parquet de Paris a ouvert plusieurs enquêtes, le 16 janvier dernier, visant Fabien Canu, le directeur général de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep) ; Gwenaëlle Noury, la présidente de la Fédération française des sports de glace ; Jean-Luc Rougé, le secrétaire général de la Fédération internationale de judo ; Jean Lapeyre, le directeur juridique de la Fédération française de football ; et Serge Lecomte, le président de la Fédération française d’équitation. Ce dernier, en poste depuis 2004, avait comparé un agresseur sexuel au sein de sa fédération à un simple « voleur de pommes ».
Moyens limités
Toutes ces mesures suffiront-elles à briser « l’omerta à tous les étages » du monde sportif, comme l’ont écrit les parlementaires ? Signal-sports, la cellule de crise créée au sein du ministère des sports en 2020, à la suite de notre enquête, a bien été pérennisée. Depuis 2020, elle a permis de traiter 1 200 signalements. Plus de 600, selon le ministère, ont débouché sur des sanctions définitives prononcées par les préfectures : interdiction pour les mis en cause d’exercer au sein des organisations sportives. Reste que les moyens de la cellule demeurent limités : quatre ans après sa création, il n’y a toujours que trois agents chargés de recueillir la parole des victimes et suivre les affaires. De l’aveu même du ministère, « l’essentiel du travail de la cellule est réalisé par les services départementaux, sous l’autorité des préfets ». La déléguée ministérielle spéciale, Fabienne Bourdais, a par ailleurs vu son portefeuille s’alourdir de deux autres missions : directrice de l’administration du ministère des sports et déléguée aux grands évènements sportifs. À l’approche des JO, la lutte contre les violences sexuelles ne semble plus être au sommet des priorités.
Source : https://disclose.ngo/fr/article/violences-sexuelles-dans-le-sport-la-loi-renforce-les-controles-mais-lomerta-persiste